De Roche Percée jusqu'à Sweetgrass Hills
Un regard en direction de l’ouest, à travers les plaines du pays du Coteau.
Nous avons à peine couvert le quart de la distance de notre trajet vers le Fort Whoop-Up, et ce, sur les sentiers autorisés, quand nous recevons le nouvel ordre d’attaquer le nord de la frontière. Nous nous enfonçons alors dans des terres inconnues aussi bien par nos hommes que par nos guides métis. Se laissant guider par une carte désuète et imprécise, une boussole et les étoiles, le commissaire French et l’inspecteur adjoint Walker avancent pas à pas vers leur but.
Bien qu’ils ne se soient jamais égarés, les hommes n’arriveront pas à planifier une meilleure route. Ils marchent péniblement, montant et descendant les plaines. Ils ne peuvent jamais prévoir où trouver de l’eau. Plusieurs lacs et marécages qu’ils croisent en cours de route sont soit souillés par les bisons, soit alcalinisés. Souvent, hommes et animaux sont si assoiffés qu’ils boivent tout de même cette eau qui les conduit vers de grandes souffrances en peu de temps.
La viande fraîche était toujours bienvenue.
Certains jours semblent meilleurs que d’autres. Un lac d’eau pure signifie une journée de repos, une chance de laver ses vêtements et l’occasion de prendre un bain. Dans les jours meilleurs, les tireurs d’élite tuent des canards ou des oies sauvages; un changement des plus appréciés dans notre diète composée de biscuits secs, de bacon et de thé. Les hommes sont profondément reconnaissants le jour où le commissaire adjoint Macleod apparaît avec 4 700 livres de pemmican acheté au dépôt du mont Wood.
Pendant la Marche, les hommes ménagent la nourriture. Souvent, ils ne mangent pas du tout, car les chariots de nourriture traînent derrière eux.
Un jour typique débute avec, en guise de déjeuner, du thé ou de l’eau accompagné d’un biscuit sec ou d’un biscuit de mer. En guise de dîner, le tout est suivi de thé ou d’eau accompagné d’un biscuit sec ou d’un biscuit de mer. Finalement, la journée se termine par un souper composé de devinez quoi? du thé ou de l’eau accompagné d’un biscuit sec ou d’un biscuit de mer! Ces repas sont surnommés des «« Wet and Dry » tandis que le nom « 23 » est attribué au repas composé exclusivement de thé. Quand la viande est disponible, on ajoute au menu du bacon ou de la viande fraîche de bison. Fred Bagley est enchanté lorsque l’inspecteur Macleod arrive avec un chariot chargé de viande séchée. Il confie : « (…) ces feuilles de viande séchée nous tombaient du ciel... comme ce fut le cas pour les Israélites dans leur périple dans le désert. Nous nous demandions comment aller piger, le matin, dans le ballot non surveillé, afin de nous remplir les poches de cette viande et de pouvoir grignoter toute la journée. » Toutes les fois qu’ils en ont la chance, les hommes chassent le canard, l’oie ou le bison afin d’apporter protéines et variété à leur diète.
En général, les hommes se lèvent tôt. Ils chargent les chariots de leurs tentes et couvertures, brossent et sellent les chevaux, puis montent à cheval pour parcourir une distance de dix à douze milles avant de s’arrêter déjeuner. Les déjeuners sont presque exclusivement des « 23 », un surnom donné au repas composé uniquement de thé; ou des « Wet and Dry », un repas comprenant du thé ou de l’eau accompagné d’un biscuit sec ou d’un biscuit de mer. Le thé, bien sûr, ne peut être consommé que lorsque les hommes trouvent du bois. Dans les prairies, ce sont des morceaux de bison séché que l'on rammasse pour faire brûler. Les jours de pluie, il n’y a pas de repas chaud.
Le 18 août, le commissaire French fonde son Camp des infirmes. Sept hommes malades, 26 chevaux et plusieurs bovins sont laissés derrière sous la surveillance du sergent Sutherland. Ces hommes demeureront là jusqu’au retour de la Force en automne, après sa marche au Manitoba.
Chasse au bison.
Une semaine plus tard, la Force atteint les limites de Cypress Hills. Là, les hommes attendent que le commissaire adjoint Macleod ne revienne du dépôt de la rivière White Mud chargé d’avoine pour les chevaux. Ce jour là, les hommes mangent leur dernière ration de bacon.
Après une marche de 600 miles, des fusils sont mis à la disposition des hommes lorsqu’ils rencontrent leurs premiers bisons. Les hommes savourent ce festin de viande fraîche.
En 1874, le buffle ou bison commence déjà à disparaître. Pendant la Marche, les hommes font leur rencontre avec un bison pour la première fois. Longtemps avant cette rencontre, ils voient partout sur leur chemin des traces de bison : la fiente que les hommes ramassent et utilisent pour leur feu de camp quand ils n’ont plus de bois; les marécages souillés après le passage des bisons; puis, enfin, les prairies sans fin, désertées de toute nourriture pour les chevaux, les bisons ayant mangé toute l’herbe qui s’y trouvait. Le premier bison chassé est donc une nouvelle expérience pour eux. L’abondance de viande fraîche découlant de cette chasse recharge les esprits et redonne de la force aux hommes.
« Nous avons tué notre premier bison le 1er septembre. La plupart d’entre nous s’étaient joint à la chasse; les fusils tiraient dans toutes les directions. Je me rappelle avoir vu un homme aller à cheval à côté d’un vieux bison. Dans l’excitation du moment, il a battu à mort l’animal, le rouant de coups à l’aide du pommeau de son fusil jusqu’à ce que quelqu’un arrive pour mettre fin à ce jeu. » - Sir Cecil Denny
Manteau de fourrure de bison
Les chevaux ne sont pas aussi chanceux. Les bisons ont mangé toute l’herbe et l’avoine vient à manquer. Avec la venue de septembre, la température se refroidit et il pleut. Marchant déjà de peine et de misère, la majorité des chevaux meurent. Certains ne peuvent plus marcher que quelques heures avant de devoir se reposer. Le commissaire ordonne à chacun d’utiliser une de ses deux couvertures pour couvrir son cheval.
La force éprouve des difficultés : la nourriture se fait rare, les hommes et les chevaux épuisés doivent affronter le froid. Environ quarante chevaux sont déjà morts. Les hommes marchent avec ce qu’il leur reste de bottes; certains enroulent des lambeaux de tissu autour de leurs pieds, un homme porte même ses pantoufles!
French envoie des éclaireurs à la recherche du Fort Whoop-Up. Trois cabanes de bois abandonnées, voilà ce qu’ils y trouvent. Même les renseignements que French possédait à propos de l’emplacement du fort s’avéraient faux. French décide donc de poursuivre vers Sweetgrass Hills. Faisant maintenant face à la neige, la force prend un temps d’arrêt et dresse un campement près de West Butte.
Le commissaire French doit encore une fois prendre une importante décision. Il décide de faire demi-tour avec les Troupes D et E afin de les reconduire dans les quartiers d’hiver de Fort Ellice. Les Troupes B, C, F et quelques hommes de la Troupe A demeurés avec le peloton principal continuent leur chemin vers le Fort Whoop-Up, sous la supervision du commissaire adjoint Macleod. Les chevaux sont examinés et les plus forts sont envoyés avec les Troupes D et E. Sous la direction de l’inspecteur Carvell, ces deux troupes débutent tranquillement leur trajet vers l’est, à destination du lac Wild Horse. Là, ils retrouvent le commissaire French qui, faisant un détour au Fort Benton, au Montana, ramène les provisions nécessaires au voyage.