Départ du Fort Dufferin
Un orage électrique sème la panique chez les chevaux.
Quel scandale nous vivons cette nuit-là! Plus tôt, les troupes en provenance de Toronto sont arrivées avec des chevaux, des chariots et des provisions. Les chevaux forment un cercle autour des chariots pour la nuit. Nos trois troupes campent tout près. C’est une nuit que personne n’oubliera. Un orage gronde. Les éclairs et le tonnerre effrayent les chevaux. Imaginez la panique quand le vent soulève brutalement les tentes en direction de ces chevaux originaires de l’est! Ils se mettent à courir de tous côtés, bondissant à la fois les uns sur les autres, sur les hommes et sur les chariots. Ils brisent finalement le cercle qu’ils formaient pour prendre la fuite. L’inspecteur adjoint Walker et quelques autres gaillards mettent la nuit entière et le jour suivant pour ramener ces chevaux. Ils les retrouvent tous, à l’exception d’un seul.
Premier camp aux alentours du Fort Dufferin.
Nous passons le reste de la semaine à réparer les tentes, à recharger les chariots et à attendre qu’arrive une cargaison d’armement envoyée pour nous. Le 8 juillet 1874, tard dans l’après-midi, nous levons le camp en direction de Fort Dufferin. Notre premier point de rassemblement est la Baie d’Hudson, à quelques pas seulement du fort. En fait, certains cavaliers inexpérimentés éprouvent autant de difficulté que les chevaux qui n’ont pas l’habitude de porter une charge. Le commissaire French renvoie donc deux chariots d’articles jugés inutiles, tels des vêtements de rechange pour les hommes et deux chariots chargés d’avoine.
Les jours suivants le départ pour le Fort Dufferin, plusieurs hommes comptent parmi la parade des malades. La diarrhée est le mal dont la majorité se plaint; les hommes buvaient l’eau de n’importe quelle source disponible.
Plus la Force avançait, plus fréquents étaient les marécages brassés et souillés par les troupeaux de bisons. Une forte odeur d’alcali s’en dégageait. Souvent, tellement assoiffés, hommes et bêtes buvaient cette eau infecte – la dysenterie en résultait.
De longues marches, de la nourriture inadéquate et de l’eau insalubre affaiblissaient les hommes. Certains souffraient de la grippe, de la malaria, de bronchite ou de pneumonie. Deux d’entre eux contractèrent la fièvre typhoïde et furent renvoyés au Fort Dufferin. Le Dr Kittson et le Dr Nevitt, les deux médecins officiels de la Marche vers l’Ouest, soignaient leurs patients avec le peu de médicaments mis à leur disposition. Ils ont même essayé de développer un insectifuge pour apaiser les souffrances des hommes.
Un train de marchandise suit les géomètres experts près de la frontière internationale, sur la route de la Commission frontalière.
Vêtus de nos tuniques rouges, avec nos casques en sola et nos bottes sombres reluisantes, nous formons une épatante parade. Coûte que coûte, l’aventure est commencée!
Notre trajet à travers le Manitoba suit la route de la Commission frontalière. Nous effectuons plusieurs arrêts dans les différents dépôts de la Commision. Nous nous y informons des dernières nouvelles, y refaisons le plein de provisions ainsi que d’avoine et de foin pour les chevaux selon les réserves disponibles. Nous campons dans les prairies. Quelquefois, le camp est près d’eau potable, mais c’est sans exception que nous campons dans des marécages infestés d’insectes ou dans les pâturages. Aussi, nous devons surveiller nos feux de camp; non seulement pour économiser le bois, mais aussi pour éviter de créer des feux d’herbe.
Les gouvernements britannique et américain envoient des équipes de géomètres experts pour établir la frontière entre le Canada et les États-Unis. La Commission frontalière britannique qui travaille du côté canadien construit une route, des ponts et des dépôts tout le long de son parcours.
La Commission construit une ligne de pierre et un cairn pour marquer la frontière. Quand la Marche vers l’Ouest a commencé, ces hommes étaient là où se situe maintenant l’Alberta.
Une équipe de travail de la Commission frontalière.
La Commission frontalière établit le long de sa route quatre points de ravitaillement principaux, les dépôts. Au fur et à mesure que les équipes de travail avancent vers l’Ouest, ces dépôts approvisionnent les hommes en nourriture, équipement et marchandise.
Trente chariots et dix-sept carrioles de Red River vont et viennent du Fort Dufferin au Fort Benton, déchargeant leurs cargaisons dans différents dépôts et campements. Macleod traverse les dépôts du mont Wood et de la rivière White Mud à la recherche d’avoine, de foin et de viande fumée.
Nos pauvres chevaux vivent le pire du voyage. Ils n’ont pas l’habitude de ces longues journées. Quelques-uns sont attelés à de trop lourds chariots dans des conditions de pénurie d’eau et de nourriture. Avant que le premier mois du voyage ne prenne fin, plusieurs d’entre eux sont décédés tandis que les autres ont adopté une silhouette squelettique. Les boeufs de trait et le bétail, eux, se portent beaucoup mieux que les chevaux.
Un tumulus de Pierre marquait la frontière internationale.
Sur la route de Roche Percée, notre peloton d’hommes s’étend sur 8 km. Souvent, nous allons dormir le ventre vide car les chariots de provisions se trouvent bien loin derrière nous. Des nuages de moustiques nous attaquent, les sauterelles dévorent l’herbe et l’eau souillée rend les hommes et les chevaux malades. Les orages électriques et la pluie nous réveillent la nuit. Toute illusion de prestige, d’aventure et de gloire disparaît dans l’esprit des hommes épuisés que nous sommes.
À Roche Percée, hommes et animaux se reposent, récupèrent. Le commissaire French doit faire face à la réalité, que la Force se compose désormais de chevaux squelettiques et d’hommes malades. Il prend une décision : celle-ci sera de diviser le convoi en deux troupes et chacun prendra sa propre direction.
Un arrêt à Roche Percée.
La Troupe A, qui renferme le plus grand nombre de chevaux affaiblis, de vaches avec leurs veaux, de provisions superflues et d’hommes malades, part en direction du Fort Ellice, puis de Fort Edmonton. Le reste de la Force poursuit sa route vers l’ouest dans le but de mettre un frein au commerce du Whisky et de ramener l’ordre.
Membre de la Troupe A, je me sépare ici du corps principal de la Force.
Je vous raconterai mon périple avec la Troupe A un peu plus loin. Pour l’instant, continuons notre voyage dans le temps en suivant le trajet vers l’Ouest. Accompagnons le commissaire French, l’inspecteur Macleod, l’inspecteur Walsh et les hommes de la Force qui sont à leurs côtés.